Pour une économie à visée régénérative

Introduction : Un monde en crise systémique

Nous vivons une période de turbulence sans précédent. Depuis la Great Acceleration, notre modèle économique a dépassé les limites planétaires, créant des déséquilibres écologiques, sociaux et économiques majeurs. Le monde est devenu VUCA (Volatile, Incertain, Complexe et Ambiguë), et les signaux dépassent désormais les cercles académiques : crises de ressources, crise climatique, perte de biodiversité, inégalités grandissantes.

La Great Acceleration : Un tournant dans l'histoire humaine

Le concept de Great Acceleration (Grande Accélération) a été développé par des scientifiques du Stockholm Resilience Centre pour décrire l'augmentation exponentielle des activités humaines à partir des années 1950. Cette période a vu une explosion de la consommation d'énergie, de la production industrielle, de l'urbanisation et de l'utilisation des ressources naturelles. Cela a entraîné une pression sans précédent sur les écosystèmes planétaires, marquant une entrée dans l'Anthropocène, époque où l'humain devient une force géologique majeure.

Parallèlement, Jason Hickel, dans Less is More: How Degrowth Will Save the World, critique cette trajectoire et appelle à une décroissance soutenable. Il met en avant l'idée que la croissance économique illimitée est une construction culturelle et non une nécessité absolue pour le bien-être humain.

Ressources pour approfondir :

  • Will Steffen et al., "The Trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration" (2015) : Lien vers l'article

  • Stockholm Resilience Centre : Site officiel

  • Less is More: How Degrowth Will Save the World, Jason Hickel : Détails

Limits to Growth et ses mises à jour : Un avertissement ignoré

En 1972, le rapport Limits to Growth (Les limites de la croissance), rédigé par le Club de Rome et dirigé par Donella Meadows, a utilisé des modèles systémiques pour montrer que la croissance économique exponentielle était insoutenable sur une planète aux ressources finies. Les auteurs ont identifié plusieurs scénarios, la plupart prévoyant un effondrement économique et environnemental si les tendances restaient inchangées.

En 1992, Beyond the Limits a mis à jour ces conclusions en montrant que certaines limites avaient déjà été franchies, appelant à une transformation profonde des modèles économiques et sociétaux.

Naomi Klein, dans This Changes Everything: Capitalism vs. The Climate, développe une critique du capitalisme extractif et montre comment la crise climatique est un produit direct du modèle économique actuel.

Ressources pour approfondir :

Breaking Boundaries : Le basculement vers un système déréglé

Plus récemment, le scientifique Johan Rockström et son équipe ont introduit le concept des 9 limites planétaires. Dans leur ouvrage Breaking Boundaries (2021), ils montrent que plusieurs de ces limites, comme la biodiversité et le cycle de l'azote et du phosphore, ont déjà été franchies, menaçant la stabilité de l'écosystème terrestre.

Andreas Malm, dans Fossil Capital, explore comment l'histoire de l'industrialisation et l'adoption des énergies fossiles ont structuré notre modèle économique, rendant d'autant plus complexe la transition énergétique actuelle.

Ressources pour approfondir :

Conclusion : La nécessité d'une refonte du modèle de développement

Ces différents travaux convergent vers un constat clair : notre modèle économique linéaire et extractif a été construit au détriment des écosystèmes, des cycles biologiques et de l'équilibre social. Nous avons largement ignoré les avertissements de la science et avons continué sur une trajectoire insoutenable.

Aujourd'hui, la question n'est plus de savoir si nous devons changer, mais comment nous allons réussir cette transformation. Ce texte propose d’explorer une alternative : une économie régénérative, ancrée dans une compréhension plus profonde du vivant et de nos interdépendances. Il ne s’agit pas simplement de corriger les défauts du système existant, mais bien de changer de paradigme.

Pour cela, nous proposons d’examiner l’économie sous sept prismes complémentaires : ontologique, cosmologique, axiologique, intentionnel, relationnel, organisationnel et opérationnel.

Repenser l'économie selon sept dimensions clés

Chaque section de ce document expose une problématique clé du modèle économique actuel, identifie les transitions nécessaires et mobilise des penseurs et des travaux de référence pour explorer des alternatives. L’objectif est d’inviter à une réflexion systémique et à l’émergence de nouvelles pratiques économiques respectueuses du vivant.

1. Ontologiquement : Changer notre perception du réel

  • Problème actuel : Une vision dualiste et mécaniste du monde sépare l'humain du vivant.

  • Transition nécessaire : Passer à une approche systémique et intégrative.

  • Références : Edgar Morin (pensée complexe), Francisco Varela & Humberto Maturana (autopoïèse), Evan Thompson (cognition incarnée), Alfred North Whitehead (philosophie du processus), Tim Ingold (anthropologie du vivant), Karen Barad (réalisme agentiel), Hartmut Rosa (résonance).

  • 📌 Question clé : Comment notre perception du monde influence-t-elle notre manière de structurer l’économie ?

    2. Cosmologiquement : Redéfinir notre place dans le vivant

  • Problème actuel : L’économie ignore les limites planétaires et l’interconnexion avec le vivant.

  • Transition nécessaire : Repenser nos modèles à partir des sagesses écologiques et systémiques.

  • Références : Buckminster Fuller, Philippe Descola, John Fullerton, Kate Raworth.

  • 📌 Question clé : Comment replacer l’économie dans une dynamique écologique et évolutive ?

    3. Axiologiquement : Changer nos valeurs et principes directeurs

    • Problème actuel : Une focalisation sur la maximisation financière et la compétition.

    • Transition nécessaire : Intégrer des valeurs de résilience, interconnexion et coopération systémique.

    • Références : Adam Smith (lecture revisitée), John Maynard Keynes, Kate Raworth, Amartya Sen.

    • 📌 Question clé : Comment redéfinir les critères de valeur au-delà de la simple croissance économique ?

    4. Intentionnellement : Repenser la mission et la raison d’être des organisations

    • Problème actuel : Les entreprises sont centrées sur l’optimisation du capital financier (7 hypothèses toxiques d’Eve Poole).

    • Transition nécessaire : Adopter une approche en triple matérialité et multi-capitale.

    • Références : r3.0, Rory Ridley-Duff, John Fullerton.

    • 📌 Question clé : Comment aligner entreprises et institutions avec une économie régénérative ?

    5. Relationnellement : Transformer notre rapport au monde et aux autres

    • Problème actuel : Une approche transactionnelle et mécaniste de l’économie.

    • Transition nécessaire : Développer une approche relationnelle et systémique de l’économie.

    • Références : Gregory Bateson, Fritjof Capra, David Bohm, Otto Scharmer.

    • 📌 Question clé : Comment organiser l’économie autour des interactions de qualité plutôt que des transactions isolées ?

    6. Organisationnellement : Repenser les structures et la gouvernance

    • Problème actuel : Modèles hiérarchiques et centralisés limitant l’adaptabilité et la résilience.

    • Transition nécessaire : Passer à des modèles organisationnels distribués et adaptatifs.

    • Références : Frédéric Laloux, Elinor Ostrom, Otto Scharmer.

    • 📌 Question clé : Comment choisir la bonne structure organisationnelle (marché, État, communs) en fonction du contexte ?

    7. Opérationnellement : Mettre en œuvre une économie régénérative

    • Problème actuel : Une économie encore largement linéaire et extractive.

    • Transition nécessaire : Adopter des modèles circulaires, relocaliser les chaînes de valeur et développer des communs entrepreneuriaux.

    • Références : Kate Raworth, Michael Braungart, John Fullerton.

    • 📌 Question clé : Comment transformer concrètement nos pratiques économiques pour qu’elles restaurent plutôt qu’elles ne détruisent ?

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